- Jean-Louis DÉCLAIS, David raconté par les musulmans, (Patrimoines), Paris : Cerf, 1999. 24 cm. 332 p. ISBN 2-204-06220-0.
Après un 1er ouvrage consacré à trois récits sur Job tirés des auteurs musulmans des deux premiers siècles de l’islam (cf ETR 1997/2, 295), D. en présente un 2e consacré à la figure de David telle qu’elle a été recomposée par les mêmes auteurs. Comme pour Job, il s’agit au départ de textes tirés de Tabarî, à la fois commentateur du Coran et chroniqueur de l’histoire musulmane. Mais Tabarî (mort 923), en la matière, est largement tributaire de ses prédécesseurs dont il tire les textes : Wahb Ibn Munabbih, Suddî, Ibn Ishâq. Ces récits sur David sont groupés dès le début de l’ouvrage de l’a. (17-42), mais d’autres textes, nombreux et variés, interviendront tout au long de l’analyse commentée. Centré sur David, le propos s’élargit, la méthode de présentation et d’analyse s’affine. Les récits musulmans sur David et leur problématique propre ne sont pas seulement mis en regard des écrits juifs et chrétiens – par ex. les Antiquités bibliques du Ps.-Philon (passim) ou Resh Laqish dans Lévitique Rabba (144), le Commentaire sur l’AT d’ Isho’dad de Merv (182) ou les Scolies de Théodore Bar Koni (216) ; à la suite de Tabarî, des parallèles et illustrations sont proposés également avec les récits archaïques des « Grands Jours des Arabes (Ayyâm al-‘Arab) » (130) ou avec les « Expéditions (Maghâzî) » du prophète de l’islam, en particulier la victoire de Badr (139-141). Enfin, l’a. ne manque pas de faire appel à d’autres commentaires coraniques, plus anciens ou plus tardifs que Tabarî – par ex. Muqâtil (207s), Baydâwî (202), ou encore aux ouvrages musulmans classiques de « Récits sur les prophètes ».
Le résultat en est un livre très bien documenté et structuré, et qui met sa documentation à la disposition des lecteurs de façon animée et non dénuée de pointes d’humour. Certains estimeront qu’il y a finalement trop de choses, en quoi le lecteur risque d’être à la fois ébloui et perdu. D’autres feront des choix et, à l’instar du psychanalyste Gérard Bonnet qui a très bellement préfacé l’ouvrage, en extrairont ce qui est susceptible d’alimenter leur lecture à la lumière de leur spécialité propre. Quoi qu’il en soit, tous pourront déceler que, tant dans le Coran que dans ses parallèles islamiques traditionnels ou dans ses prolongements commentatifs, les premiers musulmans ont conçu un nouveau David, avec le souci de le conformer aux options essentielles de l’islam, et d’en faire le symbole ou le précurseur de Mahomet.
Alfred-Louis DE PRÉMARE
- IBN WARRAQ (éd.), The Origins of the Koran. Classic Essays on Islam’s Holy Book, New York : Prometheus Books, 1998. 24 cm. 411 p. ISBN 1-57392-198-X.
Ibn Warraq a sélectionné, autour d’un thème unique – la recherche critique concernant le Coran – une série d’essais et d’articles parus en anglais depuis le siècle dernier jusqu’à une date récente dans différentes revues, encyclopédies ou publications collectives. La 1re partie comporte une introduction dans laquelle I. W. présente les grandes interrogations qui ont été mises en évidence par un certain nombre de chercheurs modernes à propos du Coran. Elle est suivie d’un art. publié en 1891 par l’une des sommités de la recherche coranique d’alors, Th. NöLDEKE, dans l’Encyclopaedia Britannica sous le titre « The Koran ».
La 2e partie est intitulée « The Collection and the Variants of the Koran ». S’y trouvent regroupés des textes de L. CAETANI (1915), A. MINGANA (1914, 1916) et A. JEFFERY (1937, 1935, 1939 et 1938). La sélection des textes de ce dernier y est particulièrement importante, car l’auteur était un spécialiste de l’histoire des textes, et son ouvrage Materials for the History of the Text of the Koran (1937), dont I. W. réédite l’introduction, demeure un instrument de base pour tout chercheur jusqu’aujourd’hui. Les articles ultérieurs de JEFFERY sur les variantes de la Fatiha (1939) et les versets disparus du Coran (1938) viennent donner une idée de l’enrichissement et du progrès de la recherche de cet auteur durant les années trente.
La 3e partie est consacrée aux sources (juives, chrétiennes, zoroastriennes, etc) du Coran, avec les textes d’A. GEIGER (1898), de W. ST-CLAIR-TISDALL (1901) et de Ch. CUTTER TORREY (1933).
La 4e partie, intitulée « Modern Textual Criticism of the Koran » est constituée par un seul essai, d’A. RIPPIN, publié dans un ouvrage collectif (1985) ; mais R. y présente sous l’aspect méthodologique deux ouvrages de J. Wansbrough qui font date, Quranic Studies (1977) et The Sectarian Milieu (1978).
Le grand intérêt de toutes ces reprises ne se limite pas au fait pratique qu’I. W. regroupe et met directement à notre disposition un ensemble de parutions dispersées. En effet, à travers cette sélection matérielle, il y a un parcours dynamique ; I. W. rappelle la somme des efforts et les progrès des travaux réalisés par la recherche critique sur le Coran. Il veut insister surtout sur une chose : pas plus que les textes de base des autres traditions religieuses, le Coran ne peut être soustrait à ce type d’investigation. Dans ce domaine d’ailleurs, d’autres progrès sont en cours, tant sur l’histoire du texte coranique que sur son contenu. Je crois savoir qu’une sélection analogue réalisée par I. W. sur le thème des études historiques concernant Mahomet doit paraître très prochainement, si ce n’est déjà fait.
Alfred-Louis DE PRÉMARE
- Mohamed TALBI, Plaidoyer pour un islam moderne, Paris/Tunis : Desclée de Brouwer/Cérès, 1998. 21 cm. 199 p. ISBN 2-220-04251-0/9973-19-354-7.
Le Pr Talbi a publié en arabe aux éd. Cérès, en 1992, une série d’entretiens qui sont repris ici en version française (trad. Étienne Renaut). Le nom de l’interviewer originel n’est pas indiqué. Ceci est regrettable, car le lecteur d’un ou de plusieurs « entretiens » aime savoir qui parle à qui. Il est seulement dit dans la page de l’ISBN qu’à partir de la source en arabe « Sophie Bessis s’est chargée d’en adapter la forme et d’en enrichir le contenu par un complément de questions posées à M. Talbi ». Faut-il en conclure que le texte présenté en France n’est pas le même que celui présenté en Tunisie ?
Les entretiens sont répartis en 6 chap. où, après une sorte d’autobiographie intellectuelle de T. (chap. 1), sont abordés successivement les thèmes suivants : le métier d’historien, l’islam et ses interprétations, l’islam et la politique, la foi et la modernité, des questions de société et enfin le dialogue des religions. Comme tout ouvrage de ce genre, ce livre veut s’adresser à un large public et il constitue un honnête essai d’ouverture, notamment dans les domaines sociaux et politiques. Noyés dans les questions sociales et politiques, les thèmes traités sous les titres « l’islam et ses interprétations » et « foi et modernité » ne sont que des formules médiatiques ; le thème n’y est finalement même pas abordé ne serait-ce que pour en définir les termes annoncés. Quant aux études contemporaines sur l’islam et ses textes de base et sur l’histoire de Mahomet, elles sont en fin de compte refusées pour péché d' »orientalisme ». C’est une manière d’escamoter les vraies questions qu’elles posent, identiques à celles que pose la recherche contemporaine sur l’histoire et les textes bibliques. Un plaidoyer pour un islam moderne aurait dû honnêtement aborder ces questions de façon moderne et se risquer à « penser l’impensable » selon l’expression de l’universitaire français Mohammed Arkoun.
Alfred-Louis DE PRÉMARE