Le changement de siècle interpelle les Églises sur leur parole publique. C’est l’occasion de rappeler la parole du Jubilé : plus qu’une simple prescription du Premier Testament, elle est une perspective qui sous-tend la prédication du Royaume dans les Évangiles. Antoine NOUIS ouvre des pistes d’actualisation pour une prédication incarnée.
Entre 1998 et 2000, l’édit de Nantes et les festivités du changement de millénaire, des voix s’élèvent pour exprimer un certain agacement face aux commémorations, anniversaires et autres manifestations autocélébrantes. Elles nous rendent attentifs au risque d’une utilisation de l’histoire qui consisterait à se complaire dans une évocation nostalgique d’un passé dans lequel tout était mieux. Mais nous savons aussi qu’une Église oublieuse de son histoire court le risque de perdre ses racines. Et le manque de racines nous conduit soit au repliement sur notre identité, soit à nous conformer à toutes les idéologies qui passent près de chez nous.
L’exemple des commémorations de l’édit de Nantes a montré qu’il pouvait y avoir une utilisation de l’histoire qui entre en résonance avec l’actualité. Si 1598 a aidé à nous interroger sur les questions actuelles de la laïcité, de l’accueil des étrangers et du dialogue avec les autres religions, alors vive l’édit de Nantes !
En attendant un autre défi est lancé aux Églises : Que dire, que faire, autour de l’an 2000 ? On peut se taire, faire le dos rond en attendant que les lampions s’éteignent, et retrouver cette discrétion silencieuse dans laquelle les protestants se sentent si à l’aise. D’aucuns le suggèrent en faisant remarquer que la plus grande vertu de l’an 2000 est de se situer un an après 1999, et un an avant 2001 ! Est-ce qu’on ne rate pas là une occasion de témoignage ? Car après tout 2000, c’est 2000 ans après quoi ? Et si l’Église ne le dit pas, qui parlera ?
À l’occasion de ce changement de siècle, voire de millénaire, on parle beaucoup de Jubilé en n’ayant souvent qu’une vue assez vague de ce que ce terme recouvre. Si nous voulons avoir une parole pertinente au cours des manifestations qui nous environnent, il n’est pas inutile de se pencher sur le thème biblique du Jubilé.
Le Jubilé dans le premier testament
Une des prescriptions les plus originales de la Torah est l’année sabbatique. Tous les sept ans, par analogie avec le jour du sabbat, la terre cultivable doit être laissée en jachère : « La septième année, il y aura un sabbat, un repos total pour la terre, un sabbat en l’honneur du Seigneur (1). » La terre a sa personnalité, elle aussi doit pouvoir bénéficier du repos sabbatique. Avant d’être une mesure agricole qui permet la reconstitution de la fertilité du sol, la jachère est un acte de foi(2) : « Si vous dites : Que mangerons-nous la septième année, puisque nous ne sèmerons pas et ne recueillerons pas nos récoltes ? Je vous accorderai ma bénédiction la sixième année, qui donnera une récolte pour trois ans(3). »
Le Deutéronome associe à l’année sabbatique la remise des dettes : « Au bout de sept ans, tu observeras la remise des dettes. Et voici en quoi consiste la remise : Tout créancier qui aura fait un prêt à son prochain en sera remis, et il ne pressera pas son prochain et son frère quand on aura publié la remise en l’honneur du Seigneur(4). » Le but de la prescription est de permettre un nouveau départ, de donner une nouvelle chance à celui qui est écrasé sous le poids de sa dette. « Il n’y aura pas de pauvres chez toi », poursuit le Deutéronome. Cette mesure s’inscrit dans l’ensemble des lois qui laissent une place à l’étranger, la veuve et l’orphelin. Elle fait écho au passage de l’Exode qui proscrit l’intérêt pour ne pas écraser la pauvre à qui est consenti un prêt. De la même façon, le créancier qui prend en gage le vêtement de son prochain doit le lui rendre avant le coucher du soleil, car c’est sa seule couverture(5).
Tous les sept fois sept ans, lors du Yom Kippour(6), l’année du Jubilé est solennellement proclamée au son du cor. Le Jubilé est le sabbat des sabbats. Aux prescriptions de l’année sabbatique s’ajoutent la libération des esclaves et le retour de chacun dans son patrimoine.
L’Hébreu était susceptible de tomber en esclavage soit lorsque, ayant commis un vol qualifié, il était déclaré insolvable et vendu par le tribunal pour rembourser le montant estimé du vol, soit lorsque, incapable de subvenir à ses propres besoins ou à ceux de sa famille, il se vendait à autrui. Un Hébreu vendu par un tribunal ne pouvait demeurer esclave au-delà de la sixième année(7). Il pouvait, à l’expiration des six ans, choisir de demeurer esclave dans la maison de son maître, mais seulement jusqu’à l’année du Jubilé. Il avait alors l’oreille percée au poinçon. Au moment du Jubilé, il était affranchi et recevait une allocation lui permettant de recommencer une nouvelle vie.
Enfin, chaque terrain vendu depuis l’ancien Jubilé devait retourner à son propriétaire d’origine, c’est-à-dire aux familles auxquelles avait été attribuée la terre après la conquête du pays par Josué. Toute vente qui s’effectue pendant la période des quarante-neuf ans ne peut avoir un caractère définitif. Un paysan incapable d’exploiter lui-même ses champs ne vend pas sa terre, qui est inaliénable, mais les récoltes à venir. Il rentre automatiquement en possession de sa terre dès la cinquantième année(8).
Les spécialistes du Premier Testament affirment généralement que cette dernière loi était inapplicable et qu’il n’y a aucun témoignage historique qu’elle ait jamais été appliquée(9). La prescription du retour des terres à leur ancien propriétaire est incluse dans ce qu’on appelle le Code de Sainteté, qui est postérieur à l’Exil et qui entretient la nostalgie du temps où le peuple était rassemblé dans la terre d’Israël. Il était alors entièrement consacré à son Dieu !
Si la restitution des terres n’est jamais mise en application dans le Premier Testament, nous trouvons une ébauche d’application de la libération des esclaves. C’est dans le livre de Jérémie, au moment du siège de Jérusalem. Le roi Sédécias proclame la libération de tous les esclaves hébreux. Cependant, peu de temps après, les maîtres font marche arrière. Ils récupèrent les esclaves qu’ils ont libérés et les exploitent de nouveau. La réponse de Dieu ne se fait pas attendre : « Ainsi parle le Seigneur : Vous ne m’avez pas obéi en proclamant l’affranchissement chacun de son frère, chacun de son prochain. Voici : je proclame contre vous – Oracle du Seigneur – l’affranchissement de l’épée, de la peste et de la famine, et je vous rendrai un objet de terreur pour tous les royaumes de la terre(10). » Jérémie annonce alors la prise de Jérusalem par les armées du roi de Babylone.
Le lien entre le non-respect des règles jubilaire et l’Exil est évoqué dans un autre passage qui n’est pas neutre puisque c’est le dernier verset de la Bible hébraïque. À propos de l’exil à Babylone, ce verset énigmatique dit : « Afin que s’accomplît la parole du Seigneur prononcée par la bouche de Jérémie ; jusqu’à ce que le pays ait joui de ses sabbats, il eut du repos tout le temps qu’il fut désolé, jusqu’à l’accomplissement de soixante-dix ans(11). » Pour compenser les années sabbatiques qui ont été mal observées, la terre restera en friche soixante-dix (dix fois sept) ans. Puisque le peuple n’a pas respecté les sabbats, Dieu l’envoie en exil, pour que la terre récupère son droit au repos(12).
Même si nous retenons l’hypothèse selon laquelle les lois relatives au Jubilé n’ont que rarement été appliquées, cela n’enlève rien à leur pertinence. Dans les 613 commandements qui, selon la tradition, ont été transmis oralement à Moïse pour l’application de la Torah, une vingtaine se réfèrent au Jubilé.
En ce qui concerne les années sabbatiques, leur prise au sérieux est révélée par un artifice qui a été imaginé pour contourner ses prescriptions. Il s’agit du prosboul, inventé par le célèbre Hillel, le grand-père du Gamaliel des Actes des Apôtres. Parce qu’il était devenu impossible d’emprunter de l’argent à l’approche de l’année sabbatique, Hillel a contourné la loi en disant qu’on pouvait confier sa créance à une cour de justice avant l’année sabbatique, et la récupérer à l’issue de la période. Comme les cours ne sont pas soumises aux prescriptions sabbatiques, la dette n’est pas annulée(13). Leprosboul manifeste, en négatif, l’importance accordée aux injonctions sabbatiques. Il est certes possible que l’artifice de Hillel fût purement spéculatif ; il révèle au minimum que les lois jubilaires étaient étudiées et que leur application était envisagée(14).
Le Jubilé dans les évangiles
Parmi les prescriptions de la Torah, de nombreuses lois ont été ignorées, voire contestées par Jésus. De ce fait, elles ont disparu des références de la théologie chrétienne. On ne peut pas en dire autant du Jubilé. Non seulement Jésus n’a pas ignoré le Jubilé, mais il a inscrit tout son ministère sous son autorité.
Dans l’Évangile de Luc, le ministère public de Jésus commence, après son baptême et l’épreuve de la tentation, par la prédication à Nazareth(15). Une des très belles coutumes que l’on repère dans le Nouveau Testament est cette habitude, dans les synagogues, de laisser la parole à un étranger de passage. Jésus n’est pas un étranger à Nazareth, mais en tant qu’enfant du pays qui revient à la maison, on lui confie la lecture du texte du jour. Jésus ouvre le rouleau d’Ésaïe et lit : « L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu’il m’a oint pour annoncer la bonne nouvelle aux pauvres. Il m’a envoyé pour proclamer aux captifs la délivrance, et aux aveugles le recouvrement de la vue, pour renvoyer libres les opprimés, pour proclamer une année de grâce du Seigneur(16). »
Les indications qui sont à notre disposition sur les offices à la synagogue nous apprennent que la lecture principale est celle de la Torah, les cinq livres de Moïse. Les livres prophétiques ne sont lus que comme lecture d’appoint. La lecture d’un passage des prophètes est appelée haftarah, ce qui veut direconclusion(17). Il serait intéressant de connaître le passage de la Torah qui a été lu ce jour-là à la synagogue de Nazareth, et auquel était associée la lecture d’Ésaïe 61. Dans son livre Jésus et le politique, John Yoder(18) évoque une source talmudique selon laquelle Ésaïe 61 était relié à Lévitique 25, le récit des prescriptions jubilaires. La rédaction du Talmud est postérieure à celle des Évangiles, mais elle fait référence à une tradition orale plus ancienne.
Même si le lectionnaire utilisé à Nazareth ce jour-là n’a pas centré la lecture sur le Jubilé, la perspective d’Ésaïe reste jubilaire. En annonçant une année de grâce au nom du Seigneur, le prophète inscrit sa prédication dans la vision d’un temps nouveau, marqué par la justice et la libération des captifs(19).
Jésus referme le rouleau d’Ésaïe et prononce la prédication la plus courte de l’histoire du christianisme : « Aujourd’hui, cette parole de l’Écriture que vous venez d’entendre est accomplie. » Dans la perspective biblique, ce qui est situé au commencement a une valeur paradigmatique. En plaçant cette parole au commencement du ministère public de Jésus, Luc inscrit l’ensemble de son Évangile dans une perspective jubilaire(20).
Pour confirmer cette affirmation, nous nous proposons maintenant de reprendre les quatre prescriptions du jubilé et d’écouter la façon dont elles sont présentes dans les Évangiles.
La jachère du sol
Nous avons vu qu’au-delà de sa valeur agronomique, la jachère est, comme le sabbat hebdomadaire, un acte de foi qui invite à faire confiance à Dieu. Il consiste à abandonner pour un temps les affaires humaines pour s’intéresser aux affaires de Dieu. Ne pouvons-nous pas inscrire l’appel des disciples dans cette perspective ? Lorsque Jésus invite Simon et André, Jacques et Jean à le suivre, ils doivent laisser leur barque de pêche en jachère. Si Lévi abandonne son poste de péage pour devenir disciple, c’est qu’il a compris qu’avec Jésus il avait la possibilité d’entrer dans un temps nouveau, marqué par la grâce et le recommencement.
L’appel à la confiance du Sermon sur la Montagne, qui repose sur la comparaison avec les lis des champs et les oiseaux du ciel, se termine par : « Ne vous inquiétez donc pas, en disant : Que mangerons-nous ? ou : Que boirons-nous ? Votre Père céleste sait que vous en avez besoin. Cherchez premièrement son royaume et sa justice, et tout cela vous sera donné par-dessus(21). » Ce verset n’est pas une invitation à une douce quiétude, au nom de la confiance en un Dieu qui pourvoit à tous nos besoins. Il est la réponse de Dieu au disciple qui a laissé en jachère son instrument de travail pour répondre à l’appel du Royaume.
La remise de la dette
Dans la première partie du deuxième verset d’Es 61, dans l’expression année de grâce, le mot pour dire grâce est râtsôn, issu du verbe râtsâh qui veut dire se plaire, trouver plaisir, mais aussi payer ses dettes, s’acquitter. Les auditeurs de Jésus ont pu entendre l’annonce d’une année de grâce comme la proclamation de la remise de leurs dettes. Or la dette est une réalité particulièrement prégnante dans l’univers socio-économique des habitants de Nazareth.
Dans son Histoire d’Israël, S. W. Baron décrit comment, à l’époque de Jésus, le paysan galiléen a été réduit à un esclavage de fait, suite à sonendettement progressif(22). Le responsable de cette situation est Hérode le Grand qui a financé sa politique de grands travaux et d’infrastructure en écrasant le peuple d’impôts. Celui qui ne peut pas payer est obligé de s’adresser à l’usurier qui est souvent de mèche avec le percepteur d’impôts. Il arrive alors que sa propriété, qu’il a donnée en gage, tombe entre les mains de l’usurier, dont il devient le métayer. Les dettes du paysan ne sont pas acquittées pour autant et, si elles ne sont pas remboursées, elles grandissent avec l’usure. Quand le paysan est déclaré insolvable, il peut être vendu comme esclave, lui, sa femme, et ses enfants, afin que la dette soit acquittée. Dans ce contexte, on comprend mieux l’écho que pouvait avoir la parole de Jésus selon laquelle il venait accomplir l’annonce de la remise de la dette.
La version matthéenne du Notre Père utilise le mot opheilèma pour évoquer ce que nous avons traduit par offenses. Or ce mot veut dire dette. Littéralement, la cinquième demande de la prière se traduit : « Remets-nous nos dettes [Lc : nos péchés] comme nous avons nous-mêmes remis à ceux qui avaient des dettes envers nous [Lc : car nous-mêmes nous remettons …(23)] ». La traduction dans laquelle nous prions habituellement le Notre Père a spiritualisé cette cinquième demande en transformant les dettes en offenses.
Si nous prenons conscience du contexte socio-économique que nous avons évoqué, la récitation du Notre Père en grec ne peut pas ne pas renvoyer à la perspective jubilaire. C’est dans cette même perspective que nous devons entendre toutes les paraboles qui parlent de dettes dans l’Évangile, et elles sont nombreuses(24).
La libération des opprimés
Les deux dernières prescriptions du Jubilé sont moins explicitement présentes dans les Évangiles. Ils ne parlent jamais de l’esclavage en tant que tel, et c’est probablement dû au fait que la notion d’esclavage est trop générale et recouvre des réalités sociales et humaines très différentes. « La condition servile n’est pas uniforme : ceux qui travaillent dans les mines ont une vie particulièrement pénible et le sort de ceux qui sont aux champs n’est pas toujours enviable. En revanche les esclaves « spécialisés » (cuisiniers, médecins, secrétaires …) ont une grande valeur marchande … L’esclave artisan, qui travaille dans une échoppe en donnant une simple redevance à son maître, ne se distingue guère, du point de vue du niveau de vie, du petit artisan de naissance libre … Bref, c’est un groupe qu’il ne faut pas considérer en bloc comme une véritable classe sociale(25). »
Si les Évangiles ne parlent pas de l’esclavage en tant que tel, ils ne cessent de parler de libération des opprimés. C’est sous ce registre que nous voulons relire tout le ministère de guérison de Jésus.
Dans son livre Un Jésus, Alphonse Maillot analyse avec beaucoup de pertinence les miracles des Évangiles dans cette perspective : « C’est dans et par ses miracles que Jésus s’en est pris le plus violemment, aussi bien à la civilisation qu’à la religion de son temps, en sorte qu’ils sont, je crois, le prisme herméneutique le plus sûr de certaines de ses paroles ou de ses actes, voire de sa Passion(26). »
Beaucoupdes signes posés par les guérisons de Jésus sont séditieux et transgresseurs. Lorsqu’il touche le lépreux ou la femme hémorragique et qu’il accueille le paralysé, qui sont dans le champ de l’impureté, Jésus libère l’opprimé. Les guérisons sont toutes orientées vers la libération, la réconciliation et la réintégration des exclus. Une étude spécifique des récits de délivrance de possession le montrerait sans ambiguïté. Pour revenir à notre perspective jubilaire, A. Maillot conclut sa lecture des miracles dans l’Évangile de Marc en écrivant : « En ce qui concerne tous ces miracles, on pourrait se demander si le Christ de Marc n’entreprend pas avec eux une sorte d’immense programme de désaliénation systématique. En parodiant Ga 3/28, on peut dire qu’après cette « campagne » de miracles du Christ, il n’y a plus ni jour sacré, ni lieu sacré, ni lépreux (impur), ni femme (impure), ni aveugle, ni infirme, ni prêtre, ni possédé … car ils sont tous un en et parJésus-Christ(27). »
Au-delà de son ministère de guérison, Jésus s’adresse de façon privilégiée à ceux qui n’ont pas de statut(28). Il attribue un nouveau destin aux pauvres : ils sont heureux car le Royaume des cieux est à eux. Il confère un rôle aux enfants car le Royaume leur appartient, et ceux qui ne les accueillent pas n’y entreront pas. Les étrangers reçoivent un statut positif dans le Royaume de Dieu : ils prendront place au festin avec Abraham, tandis que les « héritiers » seront exclus(29). Toutes ces paroles révèlent un retournement des valeurs en donnant une place privilégiée dans l’économie du Royaume à ceux qui n’en ont pas dans la société des hommes.
Jésus ne présente pas de programme de gouvernement à destination des politiques ; en revanche, il dit des paroles et pose des actions qui ont une valeur politique certaine. Il ne parle pas de l’esclavage en tant que tel car, comme nous l’avons vu, c’est une catégorie trop hétérogène pour être généralisée, mais il pose des signes de libération, de guérison et d’accueil qui ont une valeur paradigmatique dans le champ du Jubilé.
La redistribution du capital
La redistribution du capital est la prescription la plus radicale du Jubilé. Elle n’a lieu que tous les cinquante ans, alors que des autres opérations relèvent des années sabbatiques. Nous avons cité, à propos de la jachère des moyens de subsistance, le passage du Sermon sur la Montagne qui invite les disciples à faire confiance à Dieu à propos de leur subsistance. Dans le parallèle de l’Évangile de Luc, Jésus va plus loin et poursuit en demandant à ses disciples de pratiquer la redistribution jubilaire de leur capital : « Sois sans crainte, petit troupeau, car votre Père a trouvé bon de vous donner le royaume. Vendez ce que vous possédez, et donnez-le en aumône(30). » Dans le domaine de l’offrande et du partage, Jésus invite ses disciples à aller au-delà des prescriptions « ordinaires » de la dîme pratiquée par les pharisiens : « Si votre justice n’est pas supérieure à celle des scribes et de pharisiens, vous n’entrerez pas dans le Royaume des cieux(31). »
C’est parce qu’elle avait conscience de vivre un temps exceptionnel, marqué par la réalisation eschatologique du Jubilé, que la première Église de Jérusalem a pratiqué la vente des terres et la mise en commun des revenus selon le livre des Actes(32).
Pour résumer notre propos, nous avons relu, avec des lunettes jubilaires, la première prédication de Jésus à Nazareth, la prière du Notre Père, les paraboles qui parlent de débiteurs, le ministère de guérison, les paroles sur le Royaume et l’organisation économique des disciples. Chacune de ces lectures peut être discutée, affinée, reprise … Leur convergence montre que le thème du Jubilé n’est pas marginal dans l’évangile. Il est au centre de la prédication de Jésus quand il dit : « Le temps est accompli, et le Royaume de Dieu est proche. Repentez-vous et croyez à la bonne nouvelle(33). »
Nous trouverons une dernière référence jubilaire dans les généalogies de Jésus que Luc et Matthieu ont introduites dans leurs Évangiles(34). On sait que ces généalogies ne sont pas compatibles et qu’on ne peut les superposer. Matthieu donne la clé de sa composition : il y a quatorze générations entre Abraham et David, quatorze jusqu’à la déportation de Babylone, et quatorze de l’Exil jusqu’à Jésus. L’important n’est pas l’historiographie mais le symbole. D’Abraham à Jésus, il y a trois fois quatorze générations, soit six fois sept. Jésus inaugure donc le septième septénaire : on entre dans un nouveau temps, marqué par le Jubilé. Luc, quant à lui, inscrit soixante-dix-sept noms entre Jésus et Adam. Soixante-dix-sept, c’est onze fois sept. On entre dans le douzième septénaire, qui est encore un symbole de plénitude sabbatique. En écrivant leurs généalogies, les évangélistes ont, chacun à sa manière, inscrit l’événement Jésus Christ dans une perspective jubilaire.
La théologie du royaume
Après avoir relevé l’importance du Jubilé dans le ministère de Jésus selon les Évangiles synoptiques, nous pouvons nous interroger sur son actualisation. Quelle place donner à cette parole jubilaire dans nos Églises ? Comment la faire retentir dans la prédication et dans l’action ? Pour cela, nous avons besoin d’expliciter notre basiléologie, notre théologie du Royaume.
La théologie protestante a toujours hésité sur la place qu’elle devait attribuer à l’éthique et au politique dans sa construction(35). Pour typer deux pôles, et en les caricaturant, nous pouvons définir un axe quiétiste plus centré sur l’Église et sur le culte. Il définit la foi comme une paix par rapport à la culpabilité, à l’angoisse du monde et par rapport à soi-même. Ce pôle insiste sur la justification par pure grâce : l’amour de Dieu est inconditionnel, et la foi donne une nouvelle identité en tant qu’enfant de Dieu. À l’opposé de ce premier pôle, nous trouvons un axe plus activiste, qui insiste sur le discipulat, la suivance du Christ. Défendue par ce qu’on a appelé la Réforme radicale(36), cette tendance s’oppose à ce que Bonhoeffer nommait la « grâce à bon marché » pour rappeler que l’Église est invitée à poser des signes du Royaume que Jésus a annoncé. Ce Royaume n’est pas purement spirituel ou intérieur, il est signifié dans les paroles et les gestes d’amour et de générosité, de pardon et de réconciliation, de partage et de refus de la violence.
Les deux pôles sont bibliquement marqués d’un côté par l’apôtre Paul et de l’autre par l’Évangile de Matthieu(37), l’évangile paulinien de la justification par la foi face au kérygme synoptique du Royaume de Dieu(38). Luther s’inscrit dans le premier pôle(39), alors que Calvin opère une ouverture vers le second, bien qu’il ne faille pas exagérer les différences entre Luther et Calvin : « Ils ont en commun d’avoir libéré l’éthique de la tâche de réaliser lebien(40). »
Dans cette opposition, la prédication du Jubilé s’inscrit essentiellement sur le second axe. Les exemples que nous avons pris proviennent tous des Évangiles, les références au Jubilé étant rares dans le corpus paulinien. Pour préciser notre discours sur le Jubilé, nous avons donc besoin de situer théologiquement notre basiléologie. Nous le ferons dans le cadre de la théologie réformée.
Luther et Calvin partagent les deux premiers usages de la loi. L’usage civil ou politique concerne le domaine du temporel. Pour que la vie en société soit possible, il faut qu’un certain ordre règne et que le mal soit arrêté. Cet usage n’a pas d’autre utilité que de permettre, par le glaive, les lois et les institutions, une vie sociale stable(41). Les deux Réformateurs énoncent aussi l’usage théologique ou spirituel, qui a pour fonction de nous convaincre que nous sommes pécheurs et que nous avons besoin de la justification pour exister devant Dieu(42).
En interdisant à la loi toute autre fonction que civile ou dénonciatrice, Luther dresse une barrière contre toute tentation de dérive légaliste. Calvin, quant à lui, refuse de limiter la loi à une simple utilité sociale ou spirituelle. En résonance avec l’importance qu’il accorde au Premier Testament qui a une vision beaucoup plus positive de ce que signifie la Torah, il développe un troisième usage de la loi, l’usage didactique. La loi est un horizon qui permet la croissance temporelle dans la foi(43). Par la loi, le chrétien peut progresser dans sa connaissance de la volonté de Dieu et dans sa mise en pratique. Calvin se protège de la dérive légaliste en subordonnant toujours l’usage didactique à l’usage théologique(44). Ce qui est premier, c’est l’attitude de la personne qui se reconnaît pécheresse devant son Dieu et qui réalise qu’elle est acceptée par pure grâce. Une fois cela affirmé, le chrétien peut développer son agir dans le domaine de la responsabilité sociale et politique (usage civil) comme dans la discipline quotidienne de la suivance du Christ (usage didactique).
Ce détour par les différentes compréhensions de la loi nous permet d’inscrire la théologie du Royaume dans le cadre du troisième usage. Ce positionnement s’applique particulièrement bien à la parole jubilaire qui s’inscrit en amont et en aval de la loi. Le Jubilé est à la fois prédication de la grâce (en Jésus Christ un temps nouveau est arrivé, marqué par la libération : c’est le principe de la justification) et appel aux disciples à vivre de cette réalité du Royaume marquée par l’acte de foi – la jachère -, la remise de la dette, la libération des opprimés et la redistribution du capital (c’est le principe prophétique). La proclamation du Jubilé n’est donc pour l’Église ni une option, ni une opportunité, mais une fidélité à sa vocation d’être témoin du Royaume.
La prédication du Jubilé
Dans l’introduction de cette étude, nous nous sommes interrogés sur la pertinence d’une parole théologique à l’occasion du changement de millénaire. Notre lecture du Jubilé dans le Premier et le Nouveau Testament a attiré notre attention sur l’importance de ce thème dans les Écritures, et particulièrement dans la prédication de Jésus. Puis nous avons interrogé la tradition réformée, pour voir comment inscrire la parole jubilaire dans la théologie. Il nous reste maintenant, ce qui est peut-être le plus difficile, à ouvrir des pistes pour la parole et l’action de l’Église.
Le Jubilé est une exhortation forte adressée à notre monde. Le but de l’Église n’est pas de gouverner la société, mais de dire au monde l’économie du Royaume prêché par Jésus et de poser des signes de cette réalité jubilaire(45). Nous nous proposons maintenant d’ouvrir quelques portes qui ne sont pas des propositions définitives mais des pistes de réflexion qui pourraient être reprises en Églises.
Pour actualiser la jachère, les pays anglo-saxons ont développé la tradition de favoriser la possibilité d’années sabbatiques pour les membres de l’Église, salariés ou non. Quand des membres de l’Église prennent un temps pour travailler à l’étranger, se mettre au service d’une association ou mener à bien un projet d’études, c’est tout le monde qui en est enrichi. Pourquoi l’Église ne se donnerait-elle pas les moyens de favoriser de tels projets ?
En ce qui concerne l’abolition de la dette, nos Églises ont déjà soutenu la campagne Jubilé 2000 qui proposait de faire signer une pétition pour la remise de la dette des pays très endettés. Comme pour les paysans galiléens de l’époque de Jésus, la dette est aujourd’hui un fléau qui asphyxie les pays les plus pauvres(46). Pour payer les emprunts d’hier, qui ont souvent été détournés au profit de dictateurs soutenus par nos pays, on hypothèque l’avenir. Au-delà de la campagne de signatures, la coalition Jubilé 2000propose des mesures d’accompagnement pour éviter de retomber dans la même impasse, en posant les bases d’une économie solidaire.
À propos de la libération des opprimés, il faudrait relever les vrais lieux d’oppression de notre société. J’en vois deux particulièrement criants : les sans-papiers et les prisons. L’Église a été impliquée dans l’accompagnement des sans-papiers ces dernières années. Nombreux sont ceux qui, au sein même de l’Église, sont réticents pour des raisons de responsabilité sociale à la régularisation automatique de tous ceux qui en font la demande. Pourquoi ne pas proposer une large et généreuse régularisation à l’occasion du Jubilé ? Ce n’est pas la même chose de dire : Tous les étrangers qui viennent chez nous seront régularisés et C’est aujourd’hui le temps du Jubilé, à cette occasion nous disons une chaleureuse bienvenue à tous ceux qui ont frappé à notre porte.
Enfin,la proposition la plus révolutionnaire est celle qui propose une redistribution du capital. Après la faillite des économies collectivistes, rien ne semble freiner le développement de l’économie de marché, au point que les économistes libéraux eux-mêmes commencent à s’inquiéter des effets pervers de leur propre système. Nous assistons à une concentration mondiale des sociétés ; la distance est de plus en plus grande entre les détenteurs du capital et la réalité humaine et industrielle de l’entreprise. Nous avons tous été choqués par le paradoxe des entreprises qui augmentent leur valeur boursière quand elles proposent des plans de licenciement. À propos de la modernité, Jacques Vigne utilise une image : « Des passants crièrent un jour à un pauvre cavalier emporté par un cheval emballé : Où-vas-tu ? Il répondit : Je ne sais pas ; demandez au cheval ! » Il commente : « Je ne sais pas où va notre civilisation occidentale, mais elle y va vite(47). » Face à une telle situation, soit on estime qu’on est dans l’ordre de l’inéluctable et qu’il n’y a rien à faire, soit on cherche des propositions alternatives. Contre l’idolâtrie de l’accumulation, l’utopie biblique propose une redistribution régulière du capital. Ce n’est pas le lieu ici d’aller plus loin sur cette piste, mais c’est une porte qu’il faut laisser ouverte.
Ces propositions naviguent entre le raisonnable et l’utopique, mais si l’Église n’est pas utopique, qui le sera ? N’est-elle pas invitée à prêcher le Royaume de Dieu ? Le thème général du Jubilé est d’offrir une nouvelle chance à ceux qui sont dans une d’impasse, d’ouvrir une fenêtre à ceux qui sont enfermés, de remettre la personne au centre de l’économie. Il y a là une dimension profondément évangélique, et une occasion offerte à l’Église de dire une parole pertinente pour le monde, à l’occasion du changement de millénaire.
1 Lv 25/4.
2 Maïmonide avance que l’année sabbatique s’explique par l’idée qu’en restant en friche la terre se bonifiera et deviendra plus fertile. Mais cette idée est contestée par de nombreux maîtres. Pour Ibn Ezra, le but de l’année sabbatique est de donner au peuple la possibilité d’étudier pendant un an entier la Torah. Marc Breuer écrit : « La population paysanne du pays peut se consacrer, durant cette année, à un travail de formation spirituelle qui lui permet l’accès à la culture, et aux trésors de notre patrimoine intellectuel, ce qui n’est que très rarement accessible aux paysans de notre temps », Commentaire de la Torah, Paris : Keren hasefer ve-halimoud, 1969, p.176.
3 Lv 25/20-21. En fait, le Lévitique précise : « Ce que produira la terre pendant son sabbat vous servira de nourriture, à toi, à ton serviteur et à ta servante, à ton mercenaire et à l’étranger qui demeure avec toi, à ton bétail et aux bêtes sauvages de ton pays : tout son produit servira de nourriture » (Lv 25/6). On peut manger ce que produit la terre pendant l’année sabbatique à condition de le laisser à la disposition de tous et de ne pas le considérer comme sa propriété. « Pour la nourriture et non pour le commerce », dit le Talmud. On retrouve l’idéal jubilaire du partage. L’essentiel est de ne pas travailler la terre pour respecter son sabbat.
6 Dans le calendrier juif, le premier jour de l’année est Rosh Hashana. Kippour n’est que dix jours plus tard. Si l’année jubilaire comme l’année sabbatique commencent à Kippour, le jour du grand pardon, c’est pour montrer que les lois relatives à ces années s’inscrivent dans la perspective de la Teshouva, le retour à Dieu.
7 La libération ne correspondait pas systématiquement à une année sabbatique. Mais le chiffre sept correspond à l’idée que l’esclave a fait son temps et qu’il pouvait entrer, à son tour, dans une perspective sabbatique de repos et de recommencement.
8 Cette mesure s’applique à la terre mais pas aux maisons bâties en ville. Une conséquence immédiate est la stabilisation de la répartition du pays entre centres urbains et centres ruraux, par le fait que les propriétés voisines d’une ville ne sont pas cédées définitivement.
9 Des commentaires rabbiniques eux-mêmes disent, à partir de Lv 25/10 (« Vous proclamerez la liberté dans le pays pour tous ses habitants »), que l’application des prescriptions relatives aux années sabbatiques et au Jubilé est liée au fait que tous les habitants d’Israël demeurent dans le pays. Ce qui n’a pas été le cas durant plus d’un siècle. Ce n’est qu’au moment où la majeure partie d’Israël sera réunie dans son pays qu’elles seront de nouveau en vigueur. Élie MUNK, La voix de la Thora, Paris : Foundation S. et O. Levy, 1978 (commentaire de Lv 25/2).
11 2 Ch 36/21. Selon le midrash, Jérémie s’est adressé à Dieu pour lui parler du Jubilé. Il lui rappelle le verset qui dit : « Si ton frère devient pauvre et vend une portion de sa propriété, celui qui a le droit de rachat, son plus proche parent, rachètera ce qu’a vendu son frère » (Lv 25/25). Le prophète interpelle Dieu et lui dit : « Tu as accompli vis-à-vis d’Israël la première partie, tu as vendu sa terre aux Babyloniens. Mais pourquoi n’as-tu pas accompli la seconde partie, en rachetant ton peuple ? » Dieu a répondu : « Je libérerai Israël en le ramenant de Babylonie » (sous-entendu : au temps du Jubilé).
12 Néhémie 5/1-13 parle d’une autre exhortation à l’application des prescriptions du Jubilé qui n’a pas eu de suite.
13 Dans le même ordre d’idée, à partir de la fin du XIXe siècle, avec l’établissement d’un foyer agricole sioniste en Palestine, la question de l’année sabbatique s’est reposée. Le mouvement sioniste religieux Mizrahi s’est consacré à la vente fictive des terres à un non-Juif pendant l’année sabbatique, afin de ne pas interrompre les cultures et de « ne pas mettre en péril toute l’entreprise sioniste ».
14 Nous pouvons encore citer Flavius Josèphe qui écrit dans les Antiquités juives : « Il n’y a pas un seul Hébreu qui, aujourd’hui encore, n’obéisse à la législation de l’année sabbatique comme si Moïse était présent pour le punir de toute infraction ; et ceci même lorsqu’une violation pourrait passer inaperçue. » Cité par John H. YODER, Jésus et le politique, Lausanne : PBU, 1984, p. 34, n. 17.
15 Luc précise qu’avant d’arriver à Nazareth, Jésus parcourait la Galilée, et que sa renommée se répandit dans toute la région (4/14) ; mais Théophile, à qui est adressé l’Évangile, ne sait encore rien du contenu de la prédication de Jésus. C’est à Nazareth qu’il découvre la teneur de son enseignement.
16 Lc 4/18-19, qui cite Es 61/1-2. La citation s’arrête au milieu du second verset du chapitre 61 d’Ésaïe qui ajoute : » … et un jour de vengeance de notre Dieu ». Cette omission est bien sûr signifiante. Joachim JEREMIAS, Jésus et les païens, Neuchâtel : Delachaux & Niestlé, 1956, p. 40, fait de cette omission le centre du message de Jésus. Si les auditeurs sont scandalisés par les paroles de Jésus, c’est à cause d’elle : « Tous ils protestaient et étaient indignés de ce qu’il parlât de la grâce de Dieu et de ce qu’il supprimât la vengeance messianique : « N’est-ce pas le fils de Joseph ? Il n’a pas étudié, il n’a pas été consacré. Comment peut-il oser proclamer la venue du temps du salut, et où prend-il le droit de retrancher, de sa propre autorité, un passage de l’Écriture ? » ». André TROCME, Jésus-Christ et la révolution non-violente, Genève : Labor et Fides, 1961, p. 25, attribue l’opposition des habitants de Nazareth aux grands propriétaires qui ont parfaitement saisi le sens de la prédication de Jésus. Ils ont compris que, si elle était mise en application, cela entraînerait l’expropriation de leurs grands domaines et la liquidation d’un système usuraire dont ils sont les premiers bénéficiaires.
17 Les spécialistes de la liturgie font remonter l’origine de la haftarah aux persécutions antijuives décrétées par Antiochus Épiphane en 165 avant Jésus-Christ, qui interdisaient l’étude ou la lecture publique de la Torah. Les sages auraient alors décidé de remplacer chaque section hebdomadaire de la Torah par un passage des Prophètes dont le thème rappelait celui de la péricope. C’est la raison pour laquelle il existe toujours un lien entre la péricope hebdomadaire du Pentateuque et la haftarah qui lui correspond.
18 J. YODER, op. cit., p. 33, n. 15.
19 A. TROCME, op. cit., p. 26 s., analyse en détail le vocabulaire d’Es 61/1-2 et montre de façon tout à fait convaincante comment il fait référence à Lv 25 et au Jubilé.
20 Si le récit de la première prédication à Nazareth est une reconstitution postérieure, cela ne fait que confirmer notre propos. En plaçant ce récit au commencement du ministère public de Jésus, Luc a pris soin de l’inscrire dans la perspective vétérotestamentaire du Jubilé.
22 Salo Wittmayer BARON, Histoire d’Israël : Vie sociale et religieuse, Paris : PUF, 1956.
23 Max-Alain CHEVALLIER, Relire le Notre Père, Paris : Réforme, 1991, p. 78.
24 Nous pensons à la parabole du serviteur impitoyable qui évoque la situation d’un débiteur incapable d’acquitter sa dette tant elle est disproportionnée à ses revenus (Mt 18/23-35). Nous comprenons mieux cette parabole si nous avons à l’esprit le rôle impitoyable de la dette chez les paysans galiléens. Cf aussi la comparaison entre les deux débiteurs acquittés (Lc 7/41-43) ou la parabole du gérant qui réduit la dette des débiteurs de son maître pour se faire des amis (Lc 16/1-8). Dans tous ces récits, le coeur du message est la remise de la dette.
25 Christiane SAULNIER – Bernard ROLLAND, La Palestine au temps de Jésus, (Cahier Évangile 27), Paris : Cerf, 1979, p. 9 s. Frédéric DE CONINCK, La justice et la puissance, Québec : La Clairière, 1998, p. 60, rappelle que, dans l’Odyssée, lorsque Homère veut parler de l’homme le plus démuni, il décrit le paysan sans terre qui doit louer ses services au coup par coup, plutôt que l’esclave dépendant d’une maison et dont la subsistance est assurée.
26 Alphonse MAILLOT, Un Jésus, Paris : Lethielleux, 1995, p. 33.
28 Gerd THEISSEN, Histoire sociale du christianisme primitif, Genève : Labor et Fides, 1996, particulièrement le chap. « Le mouvement de Jésus, une révolution charismatique des valeurs », p. 71 ss.
29 Mt 5/3, Mc 10/13-16, Mt 8/11 s.
30 Lc 12/32-33. Une traduction littérale dirait : « Vendez ce que vous possédez et mettez en oeuvre la compassion ».
31 Mt 5/20. Une spiritualité des pauvres s’est développée dans les derniers siècles du Premier Testament. Grâce à Qumrân, nous savons que ces textes ont été interprétés dans le sens d’une spiritualisation. Jésus a contesté cette spiritualisation trop facile pour en revenir au souci des exclus. Cf Claude TASSIN, Jésus de Qumrân à l’Évangile de Thomas, Paris : Bayard, 1999, p. 106.
32 Ac 2/44-45, 4/37. Les études concernant le partage des biens dans la première Église montrent qu’il n’était pas généralisé et qu’il avait une utilité alimentaire puisque, à Jérusalem, les disciples n’avaient pas de sources de revenus (cf Étienne TROCME, L’enfance du christianisme, Paris : Noêsis, 1997). Cela n’enlève rien au fait que des disciples ont vendu leurs biens pour faire vivre la communauté – on a le nom de l’un d’entre eux, Joseph surnommé Barnabas – et que ce geste devait être compris dans la perspective jubilaire.
34 Dominique CERBELAUD, « L’accomplissement », Sens, 1999/4, p. 149 s.
35 Jean RICHARD, « Royaume de Dieu et justification par grâce », ETR, 67, 1992/4, p. 501 ss.
36 Neal BLOUGH (dir.), Jésus-Christ aux marges de la Réforme, Paris : Desclée, 1992.
37 Les deux pôles que nous avons évoqués traversent le Nouveau Testament. « Paul lutte contre le légalisme qui rend vaine l’oeuvre de la croix ; Matthieu, lui, dénonce avec force ceux « qui disent Seigneur, Seigneur, mais ne font pas la volonté de Dieu » et qui, pour cette raison, « n’entreront pas dans le Royaume des cieux ». » Eric FUCHS, L’éthique protestante. Histoire et enjeux, Genève : Labor et Fides, 1990, p. 44. Cela dit, Daniel MARGUERAT, Le jugement dans l’Évangile de Matthieu, Genève : Labor et Fides, 1995, montre que, dans le premier Évangile aussi, l’appel du Royaume est précédé par l’annonce de la grâce.
38 Si nous voulons chercher dans les épîtres une théologie du Royaume de Dieu, plus que chez Jacques, c’est dans la première Épître de Pierre que nous voyons se déployer uneimitatio Christi.
39 Bien qu’il ne faille pas nier qu’il y a place pour un agir chrétien dans la théologie de Luther. Mais il relève des fruits de la foi, et jamais d’une obéissance chrétienne à partir d’un usage spécifique de la loi « qui nous ferait retomber sous le joug d’un légalisme insupportable » : Denis MÜLLER, « Morale », in Encyclopédie du Protestantisme, Genève/Paris : Labor et Fides/Cerf, 1995, p. 1025.
41 Ce premier usage correspond à la première loi noachique édictée par le judaïsme rabbinique qui demande l’instauration d’un tribunal, c’est-à-dire un système judiciaire qui régule la relation entre les hommes.
42 Luther va jusqu’à dire qu’il est nécessaire que le péché se développe dans la conscience de la personne pour briser toute prétention à se justifier par ses oeuvres : « L’usage propre, l’usage absolu de la loi, est de terrifier cette bête sauvage qui s’appelle l’opinion de la justice [propre] » : Commentaire de l’épître aux Galates : Oeuvres, t. XVI, Genève : Labor et Fides, 1972, p. 21 (cité par E. FUCHS, op. cit., p. 38).
43 « Le troisième usage de la loi, qui est le principal, et proprement appartient à la fin pour laquelle elle a été donnée, a lieu parmi les fidèles au coeur desquels l’Esprit de Dieu a déjà son règne et sa vigueur. » Jean CALVIN, Institution de la religion chrétienne, II, VII, 12, Genève : Labor et Fides, 1955, p. 118.
44 Cela se repère notamment dans la différence de numérotation d’avec Luther pour ce qui concerne les deux premiers usages. Luther annonce l’usage civil et l’usage théologique dans cet ordre, comme correspondant aux deux règnes. Calvin inscrit, lui, l’usage théologique en premier pour lui assigner une fonction critique permanente contre toute dérive conservatrice dans le champ politique et toute tentation légaliste dans le domaine de l’éthique.
45 Peu à peu l’Église se rend compte qu’elle redevient minoritaire, non seulement sur la surface de la terre, mais dans les pays dits chrétiens, au regard du développement du nombre des adeptes des croyances non-chrétiennes ou post-chrétiennes. Cela peut être une chance dans la mesure où l’Église peut redéployer la dimension critique et prophétique de son message.
46 Selon le Monde daté du 19 février 1999, les pays de l’Afrique subsaharienne consacrent au remboursement de leur dette un montant quatre fois supérieur à celui de leurs dépenses de santé et d’éducation.
47 Cité par Gabriel RINGLET, L’évangile d’un libre penseur, Paris : Albin Michel, 1998, p. 166.
The turn of century presents a challenge to the Churches’ public proclamation. It gives them an opportunity of focusing attention on the message of the Jubilee as much more than a precept of the First Testament: the Jubilee is a perspective within which is placed the Gospel preaching concerning the Kingdom. After pointing out the importance of the Jubilee throughout the Scriptures, Antoine Nouis opens up possibilities for actualizing relevant preaching.
p. 9-23
Auteur
NOUIS Antoine
Antoine NOUIS est pasteur de l’Église réformée de France