Ce dossier thématique d’ETR réunit les actes de deux journées d’étude sur la pseudépigraphie biblique organisées à la Faculté de théologie de Montpellier les 21 et 22 mai 2013. En une période propice à un repli sur des positions conservatrices en la matière, il s’agit de cerner au plus près une pratique qui interroge à la fois l’historien, le critique littéraire et le théologien. L’enquête porte sur le corpus biblique dans sa diversité, tout en s’enrichissant du double éclairage de la critique littéraire et des sciences humaines. Une question est au cœur de ce dossier : pourquoi les auteurs bibliques ont-ils utilisé la fiction littéraire pour défendre ce qui relevait pour eux de la vérité ?
L’écriture pseudépigraphique dans le Pentateuque est au cœur de l’enquête de Dany NOCQUET. Il souligne combien Moïse, l’auteur fictif mis en scène, s’efface devant le livre de la Torah. Cet effacement de Moïse conduit le lecteur à se placer à son tour devant le livre, parole venue d’un autre. La Torah est ainsi à lire tel un avènement pseudépigraphique. La pseudépigraphie est alors à comprendre comme un art originel de l’écrit religieux, inscrit dans le processus même de naissance de l’Ancien Testament.
Alexandre d’HELT s’intéresse aux Oracles sibyllins. En se présentant comme une parente de Noé, la Sibylle appelle le lecteur à s’inscrire dans cette filiation. La finalité de la pseudépigraphie réside ici dans un appel à la conversion de tous les peuples. A noter que par son utilisation fréquente de cet ouvrage auquel il accordait une pleine confiance, saint Augustin témoigne de l’efficacité de la pratique pseudépigraphique à l’œuvre dans les Oracles sibyllins.
Selon Régis BURNET l’explication la plus plausible de la pseudépigraphie néotestamentaire se trouve dans un travail de relecture de l’œuvre d’un apôtre opérée par ses disciples. Il rappelle cependant qu’écrire sous le nom d’un autre n’était jamais une opération innocente dans l’Antiquité. Cette pratique doit donc interroger nos notions de vérité et de fidélité, mais aussi notre conception de l’inspiration.
David PASTORELLI étudie le phénomène du point de vue de la critique textuelle. Celle-ci permet d’éclairer la pseudépigraphie dans la mesure où la réception d’un écrit dans l’Église ancienne est indissociable de sa diffusion dans la tradition manuscrite. L’exemple de l’Épître de Jude permet ainsi de montrer que son statut pseudépigraphique est discuté dès la première moitié du second siècle.
Elian CUVILLIER soutient l’idée que, par le truchement de la pseudépigraphie, l’auteur de la seconde aux Thessaloniciens actualise l’eschatologie paulinienne à destination de l’ensemble des communautés fondées par l’apôtre. Son projet est d’assumer une fidélité au message de Paul tout en assurant sa réception dans un contexte nouveau. Il produit un traité d’eschatologie deutéropaulinien reposant précisément sur la nature fictionnelle du propos.
Pour François VOUGA la pseudépigraphie paulinienne ne se définit pas comme une tentative de tromperie. Elle se présente au contraire comme la construction de fictions littéraires permettant de rendre compte de l’actualité de l’Évangile. La reconnaissance de la valeur de vérité de la fiction littéraire implique l’accord des lecteurs, un « pacte pseudépigraphique ». La pseudépigraphie se présente ainsi comme une forme de communication optimale de la vérité de l’Évangile.
Jean-Daniel CAUSSE montre que, pour Kierkegaard, la pseudonymie est en quelque sorte le théâtre de la vérité : c’est sur cette scène qu’elle se montre le mieux. Il distingue ensuite la pseudonymie et l’incognito qui est le dépouillement volontaire d’un certain nombre d’images ou de représentations de soi. Le pseudonyme dévoile les faux-semblants de la vérité ; l’incognito dit ce qu’elle est. Pour Kierkegaard, l’incognito est un fait du divin : seul un Dieu peut donner à un humain d’y découvrir la vérité de son être.
A partir du questionnement de Michel Foucault sur le statut de la vérité et de la critique du vraisemblable chez Roland Barthes, Pascale RENAUD-GROBRAS se demande quelle reformulation donner à ce qui serait la vérité de l’Évangile. Si, pour comprendre les textes, nous renonçons au pouvoir métaphorique du langage, le risque n’est alors pas tant de passer à côté de la vérité de l’auteur que de passer à côté de la vérité de l’Évangile. En ce sens la pseudépigraphie est une chance pour l’exégète.
Durant ces deux journées et au terme des exposés et des échanges, une hypothèse a pris corps et s’est imposée tous. Présente en substance dans l’ensemble des exposés, elle a été nommée « pacte pseudépigraphique », pacte entre un auteur et ses destinataires historiques. On peut résumer ainsi l’hypothèse : la vérité se donnant à connaître sous la forme de la fiction puisque selon le mot de Lacan elle ne peut que se « mi-dire », la manière la plus vivante et authentique d’en assumer l’héritage théologique et spirituel, c’est-à-dire de la proclamer ici et maintenant, consiste à la mettre en scène sous la forme de la fiction. Dans le cadre du Nouveau Testament et, plus généralement de l’univers biblique, l’exercice de la pseudépigraphie sera d’autant plus réussi qu’il finira par convaincre non seulement de sa vérité théologique mais également de sa véracité historique. Certains pseudépigraphes – pas tous loin s’en faut – s’imposeront alors, du fait de leur fidélité à la figure fondatrice qu’ils mettent en scène en même temps que de la disparition des premiers lecteurs signataires du « pacte pseudépigraphique », comme historiquement vrais : leur canonisation en sera l’évidente manifestation. La charge de la preuve ne pèsera alors pas sur l’auteur du pseudépigraphe, jamais sommé de prouver l’authenticité de sa fiction littéraire, mais sur ceux qui, beaucoup plus tard, la contesteront du point de vue de la critique littéraire. Ces derniers, les exégètes, devront toujours à nouveau prouver le bien fondé de leur mise à jour du pacte qu’ils interpréteront même parfois comme une trahison de l’original. Occupés à cette tâche complexe, ils en oublieront parfois de s’intéresser à la vérité de cette fiction.
p. 441-443
Auteur
CUVILLIER Élian
Élian CUVILLIER est directeur du Master professionnel en Théologie pratique à l'Institut protestant de théologie, Faculté de Montpellier, et membre du Centre de recherches interdisciplinaires en sciences humaines et sociales (CRISES - EA 4424).