Sur le Monument international de la Réformation à Genève, la Nouvelle-Angleterre est représentée par un bas-relief rappelant l’histoire des pères pèlerins du Mayflower et par une statue du pasteur Roger Williams, le père fondateur de la colonie de Rhode Island. Si le Mayflower s’impose sans trop de difficulté comme un symbole convenu pour rappeler « l’œuvre et l’influence du calvinisme » dans cette partie du monde, la place d’honneur que le monument réserve à Williams procède d’un choix plus audacieux. Perry Miller, éminent historien américain du puritanisme, a décrit ce choix comme une source intarissable de perplexité pour ses compatriotes. Williams n’a-t-il pas été banni du Massachussets par ses concitoyens pour avoir combattu l’alliance du trône et de l’autel en des termes jugés contraires à la doctrine des réformateurs en général et de Calvin en particulier ? Ce « séparatisme » de Williams n’a-t-il pas été violemment déprécié par l’historiographie puritaine des générations ultérieures ? N’est-ce pas chez les plus âpres pourfendeur de la tradition issue de Calvin que Williams est célébré comme un prophète de la neutralité religieuse de l’État, un esprit des Lumières égaré dans un siècle qui n’était pas le sien ? Miller a donc bien raison d’imaginer que les « touristes américains » visitant la cité de Calvin s’attendraient à voir plutôt le principal adversaire de Williams, les pasteur John Cotton, honoré sur le Mur des réformateurs….
Est-il judicieux, en somme, de présenter le fondateur de Rhode Island comme une figure majeure du « calvinisme international » et de faire de son combat pour la liberté de conscience un emblème de la propagation de l’œuvre de Calvin en Nouvelle Angleterre ? Pour répondre aux questions que soulèvent les remarques dubitatives de Miller devant la statue de Williams à Genève, il convient de rappeler dans quel contexte est né le projet d’un Monument international de la Réformation. Le climat idéologique du monument est celui des préparatifs du 400e anniversaire de la naissance de Calvin. Sa première pierre est symboliquement le 6 juillet 1909 à l’occasion de ce jubilé, mais la première réunion du comité chargé d’en concevoir le projet a lieu dès 1904 et les travaux, retardés par la guerre, ne seront achevés qu’en 1917. Les cinq années décisives pour l’orientation du projet sont celles qui s’écoulent entre les premiers travaux du comité et la pose de la première pierre. Or, ces années sont marquées, à Genève comme en France, par d’intenses débats sur la laïcité. Rappelons que la Parlement français vote en 1905 une loi de séparation de l’Église et de l’État et que le peuple genevois lui emboîte le pas en 1907 en votant la suppression des budgets des cultes.
p. 9-39
Auteur
BOSS Marc
Marc BOSS a été maître de conférences en théologie systématique et en dogmatique à l'Institut protestant de théologie, Faculté de Montpellier. Depuis 2014, il est maître de conférences en éthique et en philosophie et directeur du Fonds Ricoeur à l'Institut protestant de théologie, Faculté de Paris. Il est membre du Centre de recherches interdisciplinaires en sciences humaines et sociales (CRISES – EA 4424).