Histoire

  • Martin LUTHER, Oeuvres, t. I. Éd. publiée sous la direction de Marc Lienhard et Matthieu Arnold, (Bibliothèque de la Pléiade), Paris : Gallimard, 1999. 18 cm. CI-1599 p. ISBN 2-07-011325-6. FF 450.

Cette éd. constitue une étape majeure pour la connaissance de l’oeuvre de Luther en langue française. Il n’est pas ici seulement question de prestige – même si le fait que Luther paraisse dans la Pléiade quelques mois après Augustin donne tout son relief à l’événement et inscrit le Réformateur saxon dans une lignée théologique qu’il n’aurait pas récusée – mais également et surtout de savoir universitaire. Tout en s’appuyant sur le considérable travail qu’avaient fait les traducteurs précédents – notamment ceux des Oeuvres publiées chez Labor et Fides – hommage soit rendu aux J. Bosc, R.-H. Esnault, M. Gravier, A. Greiner, F. Gueutal, P. Jundt, G. Lagarrigue … -, les responsables de ce vol., M. LIENHARD et M. ARNOLD, ont retravaillé tous les textes sur la base des sources latines ou allemandes, et en proposent de nouveaux, inédits en français. Du point de vue de l’établissement du texte, cette édition fait donc désormais autorité et doit être préférée aux autres.

L. et A. ont retenu un ensemble consistant d’écrits de Luther jusqu’en 1523 – un 2d vol. est prévu pour la période qui va de cette date à la mort du Réformateur (1546). Une introduction – présentation générale de la vie et de l’oeuvre de Luther, mise en perspective historiographe – et une chronologie (1483-1523) permettent au lecteur d’entrer dans le corpus.

Le contenu du vol. est extrêmement riche (plus de 1200 p. de texte) : outre quelques lettres marquantes et une vingtaine de sermons insérés à leur place dans l’ordre chronologique retenu, on trouve entre autres de substantiels extraits du Cours sur l’épître aux Romains (1515-1516), les controverses de 1517 sur la scolastique et sur les indulgences (resp. 95 et 97 thèses), la controverse de Heidelberg (1518), la Brève explication des Dix commandements, de la foi et du Notre Père (1520), les traités Des bonnes oeuvres (1520), De la papauté de Rome (1520), À la noblesse chrétienne de la nation allemande (1520), Prélude à la captivité babylonienne de l’Église (1520), La liberté du chrétien (1520). Après ces « grands écrits réformateurs » figurent l’Appel à un concile (1520), le discours de Worms (1521), le Jugement sur les voeux monastiques (1522), la Brève instruction sur ce qu’on doit cherche dans les Évangiles (1522), les Préfaces au NT et à l’épître aux Romains (1522), la Sincère admonestation à tous les chrétiens pour qu’ils se gardent de la révolte et de la sédition (1522), les traités De la Vie conjugale (1522) et Que Jésus-Christ est né juif (1523). Tout en me gardant de la cuistrerie qui consisterait à discuter les choix judicieux qui ont été opérés ici, je regrette un peu que les Resolutiones ou Explications de 1518 (qui commentaient de façon très éclairante les 95 thèses) n’aient pas été reprises – seule figure la lettre que Luther écrit au pape Léon X en les lui envoyant. Le lecteur devra toujours se reporter à la traduction partielle qu’en avait proposé R. Esnault en ETR 1968/1-2, 5-44.

Chaque texte est non seulement annoté mais aussi muni d’une notice qui en introduit la lecture de façon extrêmement érudite et en propose souvent un commentaire. Une bibliographie – les références sont presque exclusivement en allemand – permet de prolonger la lecture et l’étude. En fin d’ouvrage figurent un index des notes philosophiques, théologiques et liturgiques, et une carte de l’Allemagne au temps de Luther.

Est-il besoin de dire qu’un tel ouvrage doit nécessairement figurer dans une bibliothèque théologique ?

Hubert BOST

 

  • Marc LIENHARD, Martin Luther. La passion de Dieu, (L’aventure intérieure), Paris : Bayard, 1999. 22 cm. 336 p. ISBN 2-227-32520-8. FF 130.

Au moment où paraissent les Oeuvres de Luther présentées ci-dessus, l’un de ses éd. consacre à Luther un nouveau livre. Au-delà des savoirs historiques sur Luther, en amont de ses écrits, l’a. a voulu rendre compte de ce qui est le plus difficile à cerner : l’expérience religieuse qui a poussé Luther à parler, à agir, à écrire.

L’ouvrage est divisé en 3 sections. La 1re s’intitule Biographie, ce qui, à mon avis, ne lui rend pas justice : celle que l’a. a écrite en 1983 reste l’ouvrage vers lequel il faut se diriger pour tout renseignement biographique stricto sensu. Il y a ici bien davantage qu’une reconstitution des faits et gestes du Réformateur. L. a plongé dans les méandres de l’expérience spirituelle de Luther, cherchant notamment à comprendre ce qui le mène « de la crise intérieure à la « percée réformatrice » » (chap. VII). Le titre de la coll. qui accueille l’ouvrage est particulièrement bien adapté : il s’agit effectivement de comprendre l' »aventure intérieure » de Luther, ce que le lecteur peut mieux percevoir encore grâce à l’Anthologie de textes – certains très connus, d’autres moins ou guère – qui compose la 2e partie. Ce florilège est organisé de manière thématique (la raison et la foi, Parole de Dieu et Écriture sainte, Dieu, l’homme, Jésus Christ, la justification par la foi, le Saint Esprit, l’Église, le ministère, les sacrements, la vie chrétienne).

La 3e partie, plus courte, est d’un genre différent. Sous le titre Impact et réception de Luther, elle propose un aperçu des effets qu’eut la pensée et l’oeuvre du Réformateur sur les Églises protestantes, le piétisme et les Lumières, quelques philosophes (Kant, Fichte, Hegel, Feuerbach, Nietzsche, Weber) et théologiens (Schleiermacher, Kierkegaard, Ritschl, Harnack, Troeltsch, Holl, Barth, Tillich) des temps modernes de l’époque contemporaine. Un dernier chap. s’arrête à l’image politique de Luther (révolution, nationalisme).

Hubert BOST

 

  • Denis CROUZET, La sagesse et le malheur. Michel de L’Hospital, chancelier de France, (Époques), Seyssel : Champ Vallon, 1998. 24 cm. 607 p. ISBN 2-87673-276-9. FF 210.

L’a. a cherché, dans la ligne de ses travaux antérieurs sur la Saint-Barthélemy, à comprendre la personnalité et la mentalité du célèbre chancelier en évacuant les récupérations politiques et religieuses dont il a pu faire l’objet : l’introduction se livre à l’enquête historiographique et permet de faire apparaître, par contraste, le but que s’est assigné l’a. : non une biographie, mais un dossier, un « puzzle » qui renouvelle, en dépit de son caractère inachevé, la compréhension que l’on a de l’itinéraire de ce personnage hors du commun, né vers 1505, successivement ambassadeur du roi de France à Bologne (1547), chancelier du duché de Berry (1550), maître des requêtes (1553), premier président de la chambre des comptes (1555), chancelier de France de 1560 à 1568 – avec un retrait de la scène politique de mars 1562 à mars 1563 -, et qui meurt quelques mois après la Saint-Barthélemy (mars 1573).

C’est d’abord le décryptage d’un récit-témoignage que le Chancelier a laissé de d’une tempête essuyée sur le Pô : l’épreuve et le sentiment du malheur ouvrent à la conviction évangélique, à l’espérance et à la confiance en Dieu (chap. 1). Dans l’écriture autobiographique des Carmina se précise cet évangélisme néo-stoïcien inspiré de Cicéron et de l’humanisme (chap. 2). Cette plongée faite dans l' »imaginaire » du Chancelier, l’on découvre la vision qu’il se fait de son époque et de ses contemporains qui se croient chrétiens mais sont éloignés de Dieu : la colère de Dieu ajoute au malheur des hommes qui se sont divisés sur la foi (chap. 3). La réponse à cette situation se trouve dans la sagesse, c-à-d l’amitié et la charité qui doivent aider l’amour de Dieu pour les hommes (chap. 4). C’est le roi Charles IX qui doit, par sa vertu et sa force, être l’instrument de cette lutte contre le malheur dans le royaume de France (chap. 5). L’édit de Janvier (1562), qui sanctionne la coexistence religieuse, résonne en ce sens comme une profession de foi évangélique (chap. 6).

Si le plan de l’ouvrage est simple et rigoureux, son déploiement dans l’écriture est en revanche exigeant et parfois difficile à suivre, tant l’érudition de l’a. vient l’enrichir de nombreux rapprochements avec ses contemporains (Rabelais, Érasme, Marguerite de Navarre, etc). Mais ceux-ci enrichissent le portarit du chancelier et proposent, à travers lui, une fresque de la France prise dans les débats entre religion et politique avant les guerres de religion et dans la première phase de leur déclenchement.

Un petit regret : ce maître ouvrage ne propose pas d’index de noms de personnes.

Hubert BOST

 

  • E. LABROUSSE – E. JAMES – A. MCKENNA, M.-C. PITASSI – R. WHELAN (éd.), Correspondance de Pierre Bayle, t. I : 1662-1674, Oxford : Voltaire Foundation, 1999. 24 cm. XLIV-432 p. ISBN 0-7294-0541-9. £ 75.

Presque 40 ans après la parution de l’Inventaire critique de la correspondance de Pierre Bayle établi par E. Labrousse (Vrin 1961), ce t. I de la correspondance du philosophe est à la fois un magnifique aboutissement et un outil qui va relancer encore l’intérêt des études bayliennes.

Une introduction rappelle la chronologie de l’époque considérée : la famille du pasteur Jean Bayle installé au Carla et marié en 1643 ; les études tardives de Pierre à Puylaurens et sa conversion au catholicisme à Toulouse (mars 1669), puis son retour au protestantisme (août 1670) et son départ à Genève ; les relations qu’il s’y fait (Basnage, Minutoli) , les études à l’académie de théologie et leur abandon lorsque B. devient précepteur des fils du comte de Dohna à Coppet (mai 1672), où il fait la connaissance du pasteur Constant. Puis B. revient en France incognito, à Rouen où il devenait précepteur des enfants La Rive (mai 1674) ; il va y rester un peu moins d’une année. Est ensuite reproduit le Calendarium carlanum où B. a noté les principaux éléments de sa vie jusqu’en 1686.

La transcription des lettres 1 à 65 (la dernière, à Minutoli, est déjà un essai littéraire de plus de 50 p.) est faite avec soin, et les annotations sont extrêmement précises, tant sur le plan textuel qu’intellectuel – et d’une très grande utilité car dès ce 1er vol. les éditeurs ont dû jongler avec la situation internationale – début de la guerre entre la France et les Provinces-Unies en 1672 -, l’histoire provinciale (Ariège, Normandie), la situation en Suisse, l’état des discusssions théologiques et philosophiques, les controverses interconfessionnelles, l’impressionnant savoir humaniste digéré par B. et bien d’autres matières !

Un glossaire, une bibliographie et un index facilitent la consultation de l’ouvrage. Sa belle facture et son contenu font souhaiter la parution prochaine des suivants, annoncés au cours des années à venir.

Hubert BOST

 

  • Étienne GAMONNET, Pierre Durand, restaurateur du protestantisme en Vivarais. Lettres et écrits, Esparon : E&C, 1999. 23 cm. 287 p. ISBN 2-911722-03-5. FF 140.

L’a. de cette édition de la correspondance de Pierre Durand a déjà publié en 1986 celle de sa soeur, Marie, la célèbre prisonnière de la tour de Constance, et consacré en 1994 un ouvrage à leur père, Étienne (cf resp. ETR 1987/2, 299 et 1995/1, 135).

À ma connaissance, ces lettres étaient inédites. D’elles émerge un portrait vivant et militant du jeune pasteur (1700-1732) du Vivarais : son désir d’apprendre la théologie sur le tas, son dévouement aux Églises sous la croix, son respect soumis aux indications d’Antoine Court …

On regrettera, au plan typographique, le choix systématique de l’italique pour la transcription et le fait que les lignes soient trop denses au point que les phrases sont parfois trop peu séparées. Sur le plan de la présentation, G. a choisi de faire précéder les lettres d’un commentaire et de limiter au maximum les notes, qui sont en outre reléguées en fin de section. Ce choix ne me semble pas convaincant : c’est en découvrant les textes que le lecteur éprouve le besoin d’éclaircissements, non avant. En revanche, la chronologie et l’index des personnes sont bien utiles. Une brève bibliographie complète l’ouvrage.

Le parti-pris de G. semble avoir été de rendre les textes aisément accessibles, sans les alourdir excessivement avec des annotations érudites. Ce choix est tout à fait respectable, et en outre très compréhensible si l’on tient compte du marché du livre. D’ailleurs, de belles photos et des cartes ainsi que quelques fac-similés égaient ce vol. Sans mettre en question cette option de départ, il aurait peut-être été judicieux de fournir davantage d’informations historiques, que G., très ferré en la matière, était tout à fait à même d’offrir. Malgré cette réserve, l’ouvrage est, en l’état, fort utile et intéressant.

Hubert BOST

 

  • CENTRE D’ÉTUDES DES RELIGIONS DU LIVRE, De la conversion, sous la dir. de Jean-Christophe ATTIAS, (Patrimoines – Religions du Livre), Paris : Cerf, 1997. 24 cm. 335 p. ISBN 2-204-05649-9. FF 195.

L’ouvrage réunit les contributions de 16 chercheurs et universitaires travaillant dans des champs disciplinaires variés (histoire, anthropologie, philosophie, philologie …). Autour de la question du changement d’identité d’un individu franchissant les frontières de sa communauté, il offre une traversée pleine d’imprévus, de l’Antiquité à la période contemporaire, dans des systèmes religieux divers (les 3 grands monothéismes, le zoroastrisme, l’ésotérisme). Relevons en particulier la place faite aux modèles des récits de conversion dans la tradition chrétienne, chez les apologètes grecs (B. POUDERON), chez saint Augustin (M.-A. VANNIER), dans les Églises catholique et réformées aux XVIe et XVIIe s. (T. WANEGFFELEN). Ces approches croisées devraient stimuler d’autres recherches, car le sujet est loin d’avoir été épuisé.

Marianne CARBONNIER-BURKARD